Magnifique corne rituelle tibétaine de yak à patine claire, finement gravée sur toute sa surface et sculptée à la pointe. Il s'agit d'une corne de sorcier ("Thun Rwa" ou "Thungra" = corne aux substances magiques) Utilisée originellement par les chamans, puis par des Lamas qualifiés, principalement dans les rituels de conjuration.
L'objectif est de détruire l'emprise d'une magie noire ou d'une entité maléfique qui tourmente les hommes (y compris sous forme de maladies ou calamités diverses)
Pour obtenir ce résultat, de telles armes ésotériques aident à matérialiser les forces en jeu qui s'affrontent : puissance du yak, dessins d'animaux venimeux (ici un scorpion et un serpent ceinturant la base de l'instrument) ou mythiques (ici Makara à l'extrémité et Garuda aux ailes déployées) La corne est scellée par un bouchon, car elle est destinée à renfermer des graines (la plupart du temps de trois natures selon le rituel : sésame "Til" pour éliminer toutes les conséquences des actions impures ou moutarde "Yungs dkar" pour pacifier les ennemis ou orge "Nas" pour développer les pouvoirs psychiques)
Ces graines sont expulsées par un orifice placé dans la gueule du Makara, vers l'entité ou le pouvoir aliénant à déloger. La graine de moutarde est un ingrédient assez répandu dans les cérémonies magiques du Vajrayana, à visée destructive ou d'expulsion. En effet, sa nature piquante est naturellement associée aux divinités courroucées qui vont pouvoir y trouver un véhicule adéquat, telle une munition chargée dans une arme ésotérique rituelle contre les esprits démoniaques et soutenue par des mantras d'exorcisme appropriés.
La présence d'un grand Chorten (Stupa) à proximité du scorpion et au-dessus du serpent, nous indique que la clé de guérison trouve sa source dans l'Esprit du Bouddha et de ses cinq sagesses : les animaux dangereux sont contraints à servir le bien, le venimeux devient protecteur des vertueux. Une large tortue céleste (Rus Sbal = "grenouille d'os") occupe la courbure extérieure de la corne. Héritage de l'ancien symbole Chinois de l'univers (plastron inférieur pour l'horizon de la terre et carapace supérieure pour la voute étoilée), support de divination, incarnation de la longévité, la tortue rappelle que le Lama s'en remet aussi à l'oracle et aux desseins des arcanes astrologiques.
Sur son corps sont exposés trois niveaux imbriqués, ce sont les principales données nécessaires à l'interprétation des influences astrales :
- Le zodiaque aux douze animaux dans les pétales de la fleur (12 années du calendrier bouddhiste)
- Le Ba gua ou Parkhas (les huit trigrammes de divination, tirés du Yi Jing chinois ou livre des transformations, trouvant pour chacun une correspondance d'orientation, d'élément naturel et de sentence philosophique) en position médiane.
- Le carré magique de base 3 et de constante 15 (Mewa ou les neuf chiffres auspicieux du bouddhisme tibétains, qui par leur combinaison mettent à jour les relations karmiques entre vies antérieures et vies futures) au centre.
Beaucoup plus rare est la présence du sanglier, comme référence à la déesse de l'aube Ozer Chènma (= "celle qui rayonne") ou Marichi, émanation du Bouddha Vairocana. En effet, sous sa manifestation classique à 8 bras et 3 visages, par ses attributs elle est aussi une alliée précieuse pour anéantir les démons (comme le soleil levant dissipe les ténèbres, l'ignorance) :
- la corde permet de les entraver (c'est le pouvoir de la pleine conscience dans le continuum d'instants fugaces)
- l'aiguille sert à sceller leurs yeux et orifices (c'est le retour à soi, le retournement des sens)
- la flèche propulsée par l'arc transperce leur cœur (par la perspicacité)
- le bâton d'ashoka brise leur haine (par la compassion, l'amour)
- le Vajra les divise (par les moyens habiles mis au service de la quête de l'Eveil)