Fine statuette sino-tibétaine en bronze à patine brune, avec quelques applications de dorure et traces de vermillon. Il s'agit d'une rare représentation de Rolpai Dorje (1717-1786), un influent lama tibétain très proche de la cour impériale chinoise.
En effet, précocement reconnu Tulku, réincarnation de Ngawang Losang Choden (1642-1714) lui-même conseiller de l'empereur Kangxi, il grandit avec le futur empereur chinois Qianlong (1736-1796) et devint plus tard son partenaire de confiance. Non seulement parce que Rolpai Dorje était un érudit, un traducteur s'exprimant aisément en quatre langues, mais aussi parce qu'il fût le troisième Jangɡiya Hütügtü (= Maître spirituel du Changkya, dans la province tibétaine du Kham) c'est à dire le plus grand Lama Tulku de Mongolie intérieure, dans la lignée Gelugpa.
Biographe du 7ème Dalaï Lama, rédacteur de 200 textes regroupés en 7 volumes (appelés "Gsung 'Bum" ou œuvres intégrales), auteur du "chant de la Vue" après avoir atteint la première terre des Bodhisattva (Pramuditā-bhūmi ou Joie Parfaite), superviseur de la traduction des enseignements du Bouddha (Kangyour) en mandchou et ses commentaires (Tanjur) en mongol, Maître Vajra, Rolpai Dorje est considéré comme une émanation de Manjushri le Bodhisattva de la sagesse, tout comme Djé Tsongkhapa. A ce titre, dans son iconographie classique ses attributs sont aussi l'épée flamboyante (Khadga) à sa droite sur un lotus et le livre de la sagesse transcendante (Pustaka) sur un autre lotus à sa gauche, toujours à hauteur d'épaule.
L'épée coupe aussi bien les liens de l'attachement au Samsara que les opaques voiles de l'ignorance, elle ouvre l'accès à la Vérité indifférenciée relative et absolue à l'image des deux tranchants d'une lame, elle illumine l'Esprit égaré dans les sombres illusions. Le livre initie à la Prajnaparamita (interdépendance, coproduction conditionnée et vacuité des phénomènes)
Sa main droite a le pouce et l'index en cercle, alors que les trois autres doigts sont relevés, il s'agit du Vitarka Mudrā ou geste mystique de l'argumentation devant l'Anahata chakra du cœur (pont entre le spirituel et le terrestre, par l'amour désintéressé) Réalisé en direction du disciple, il symbolise l'appel à la réception d'un enseignement de nature supérieure qui le conduira à terme à reconnaitre dans son Esprit les Qualités de sa propre bouddhéité : le geste étant la manifestation extérieure d'une réalisation intérieure, pour qui sait le comprendre c'est une douce force de persuasion. Le geste n'est ni inquisiteur, ni passif. La posture attendue n'est pas la simple croyance ou écoute d'un sermon, au contraire le cercle formé par le pouce et l'index invite l'auditeur à faire le tour de la question, à discuter, à mettre à l'épreuve son enseignement "comme l'orfèvre éprouve l'or par le feu". En même temps, il est union de la méthode et de la connaissance, ceci créé un flux d'énergie perpétuel de perfection.
Rolpai Dorje est assis en Padmasana (stabilité, équilibre, ancrage) sur un piédestal formé de trois coussins de brocart superposés (la prise de refuge en les trois Joyaux qui apportent une base solide pour s'élever au dessus de la matière) ornés de motifs végétaux en volutes. Son visage est à la fois apaisé et fermement concentré.