Narasimha : la voie médiane vers l’Eveil
Bien qu’étant une divinité assez répandue au sein du sous-continent indien, Narasimha est peu fréquent sur le marché occidental de l’art sacré hindou. Pourtant, la statue monumentale de 7 mètres de l’homme-lion sous sa forme courroucée (Ugra Narasimha) à Hampi, témoigne de son importance au début du XVIème siècle (dynastie Vijayanagar)
En fait, sa popularité tient plus de sa brusque et marquante apparition dans un chapitre du texte sacré Vishnouite « Bhagavata Purana », pour venir à bout du théoriquement invulnérable roi-démon Hiranyakashipu.
Au premier degré, ce récit semble être une énième narration du triomphe du bien sur le mal. Mais sous un éclairage ésotérique, le message initiatique est bien plus subtil et profond…
Hiranyakashipu est un Asura, ce qui veut dire un « antagoniste du divin » (= une sorte de négation qui à terme renforce le relief de l’action divine, tel un révélateur par l’extrême contre-exemple) Or les Asuras sont des entités puissantes, capables de provoquer les dieux et même d’obtenir d’eux des faveurs par la pratique de l’ascétisme, cependant ils sont inexorablement liés à la matière, au monde phénoménal dans leurs palais souterrains construits par Maya.
Lorsque Hiranyakashipu entame l’ascétisme des cinq feux (Panch Dhuni Tapasya) il symbolise la métaphore de la brûlure de l’homme par ses cinq sens, afin de s’en détourner et de suivre la voie de la grande libération : « Sabbaṃ bhikkhave ādittaṃ » dit le Bouddha (« Bhikkhus, tout brûle » – Ādittapariyāya Sutta ou Discours du Sermon du Feu)
Se libérer des bases sensorielles, c’est arrêter de se consumer par la passion, l’aversion et l’illusion ou l’ignorance.
Toutefois, soumettre le corps à une grande pénitence par le feu extérieur semble ne pas être le chemin à emprunter :
« O, vous yogis,
Pourquoi construisez-vous des cheminées dans les montagnes et la jungle?
Mon feu brûle sans bois, sa fumée est invisible,
En son centre coule le Gange et les Yogis s’y baignent,
Le son omniprésent de leur chant est rempli d’harmonie céleste,
Si vous recherchez ces yogis vous ne les trouverez pas
Mais ils sont très proches,
Ils habitent dans chaque cœur, même s’ils sont loin,
Indescriptibles, purs, immortels, Libérés du cycle de la renaissance,
Dépassant les six Chakras, ils restent dans le Siddhasan,
Seuls quelques-uns trouvent ce feu. »
(Mahaprabhuji)
« Pour trouver ce feu, fermez les dix portes (du corps) et dirigez votre regard vers votre Soi intérieur.
Ainsi dans Ham (le Soi primordial, divin), prana et apana (énergies montantes et descendantes) sont unis et l’espace intérieur est ouvert.
Ainsi vous entrez dans le Samadhi (fin de la dualité) Voici le feu.
Dans cet état, l’âme est heureuse, comme l’enfant qui rencontre sa mère après une longue séparation.
Le Soi est imbibé de Conscience Divine. Quand prana et apana s’unissent dans le chakra manipur (chakra lotus du nombril) le pouvoir de la kundalini est éveillé.
Dans agya chakra (troisième œil) il apparaît une lumière argentée qui brille comme la pleine lune.
Le «lotus aux mille pétales», siège du vrai Soi, s’ouvre dans toute sa splendeur rayonnante.
Qui vient là-bas à Turiya est Omniscient, le passé, le présent et le futur sont révélés.
Purusha est expérimenté, le vrai Soi, la conscience la plus élevée.
Ceci est accordé par la bénédiction du Maître, qui conduit l’aspirant à cette perspicacité et à la perfection. «
(Mahaprabhuji)
Ainsi Hiranyakashipu fait naître ce feu si intensément en lui, que sa chaleur va monter jusqu’aux Deva (= la Kundalini qui serpente au travers des 7 chakras)
Brahma est alors obligé d’intervenir, sur requête des Deva (= passage de l’individuel à l’universel. Le créateur n’est pas séparé de sa création, mais il manifeste, soutien et absorbe l’univers en lui-même)
Hiranyakashipu lui demande alors l’immortalité en récompense de sa pratique et de sa dévotion (= fusion au principe, fin du cycle morts / renaissances)
Brahma y consent (= Hiranyakashipu s’est défait de tous ses conditionnements, la lumière reconnait la lumière)
En conséquence Hiranyakashipu ne pourra pas être tué, ni par un homme ni par un animal, ni par une créature de Brahma, ni de jour ni de nuit, ni sur terre ni en l’air (= le dépassement de la dualité, de la différenciation, amène à l’immortalité ou sortie du cycle morts & renaissances)
Hiranyakashipu a un fils Prahlâda (= grande joie, plaisir, bonheur)
Ce fils voue un culte à Vishnu (= l’espérance de trouver un refuge, d’être sauvé)
Son père tente de le punir pour ce culte en l’éliminant de multiples façons, en vain car il survit toujours (= malgré les épreuves karmiques, la foi intacte qui transcende le temps et l’espace)
De guerre lasse, Hiranyakashipu met au défi son fils de lui prouver sur le champ l’existence de Vishnu (= immanence de Dieu, de Brahma. Car pris dans l’illusion de l’ego, impossible de faire épanouir la Bhakti qui permet de s’éveiller à sa véritable nature)
Prahlâda répond qu’il est ici comme il est en toute chose (= omniprésence, omnipotence de Dieu, de Brahma)
Ne faites pas de discrimination dans votre cœur entre ennemis et amis; faites en sorte que votre esprit soit équanime envers tout le monde.
Hormis l’esprit incontrôlé et égaré, il n’y a pas d’ennemi dans ce monde.
Lorsqu’on voit tout le monde sous l’angle de l’égalité, on arrive alors à la position d’adorer parfaitement le Seigneur Brahma». (Prahlâda : discours à son père)
Ainsi le démoniaque serait dans la dualité, la séparation, les passions qui divisent ?
Piqué au vif, Hiranyakashipu brise de rage une colonne devant lui (= ouverture à toute réception spirituelle, le terrestre accueille le céleste, le commencement et la fin par la régénération) avec sa massue (= Gadha, force du divin, bravoure, destruction des obstacles temporels sur le chemin initiatique, puissance de la connaissance)
De la colonne détruite apparait Narasimha, le 4ème avatar de Vishnu.
Avec un corps d’homme et une tête de lion (= le courage avec lequel il convient de regagner l’autorité sur soi), ce n’est ni un être humain, ni un animal (= retour à un état indifférencié de l’initié, point de convergence entre ce qu’il croit être et ce qu’il est vraiment)
De sa force colossale, il s’empare immédiatement de Hiranyakashipu, le tire par le cou à l’entrée du palais de telle sorte qu’un pied soit à l’extérieur et un pied demeure à l’intérieur (= le passage, le pont entre deux mondes, celui des morts et celui des vivants, entrée dans une dimension non spatiale)
Au crépuscule (= sortie de la temporalité, pas réellement le jour ni véritablement la nuit, moment où le conscient rejoint l’inconscient), il le pose sur un de ses genoux (= siège de la force, entre le ciel et la terre, c’est-à-dire au centre du centre, l’axe du monde) et l’éventre de ses griffes (= l’abdomen est l’emplacement du 3ème chakra Manipura, le lotus aux 10 pétales. Son ouverture par Narasimha fait monter immédiatement la Kundalini au 7ème chakra Sahasrara, le lotus au 1 000 pétales : du divin manifesté (le 10) au divin cosmique non-manifesté (le 1 000) Plus besoin de rechercher au-dehors ce que l’on a à l’intérieur de soi, la vie égotique aveugle et sensible prend fin, l’Esprit se reconnait lui-même, le détachement corporel est complet, le retour à l’unité est radical)
Après la mort de Hiranyakashipu, Prahlâda prend la place de son père comme roi des Asuras (= triomphe de l’homme nouveau qui a vaincu ses passions, renaissance en être réunifié)
Il est encore bien plus puissant (= pouvoir temporel et pouvoir spirituel n’ont pas de commune mesure) et en finalité il est accueilli dans la Vaikuntha ou demeure céleste de Vishnu (= fusion définitive au principe, état de béatitude éternel, niveau le plus élevé au-delà de tous les mondes)
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