L’art de la transformation…
Le marché de la brocante indienne propose fréquemment des pièces nommées « éléments d’architecture ». La collection Aurasiatique vous en présente de très variés, mais de quoi parlons-nous exactement derrière ce terme générique ?
Tout d’abord les plus nombreux, car fort décoratifs et déclinés en une infinie variété : les corbeaux.
Un corbeau, en référence à l’oiseau qui se penche en haut d’un mur, est un élément saillant en « équerre » qui permet de supporter une corniche, une poutre, une arche… et même une statue.
Les plus petits sont facétieusement nommés corbelets.
En Inde, notamment dans les Haweli au Rajasthan et au Gujarat, nous allons les retrouver en jonction d’un chapiteau de colonne et d’une arcade ou du plafond, suivant leur position par 2, 3 ou 4.
Plus discrets, mais richement sculptés dans la masse, sont les modillons pour étayer une structure en hauteur. Ils sont le plus souvent rampants (perpendiculaires à la pièce qu’ils supportent) et quelquefois en aplomb à la verticale.
Ces modillons font place à toute une imagerie animale (oiseaux dont le paon, lions, chevaux, éléphants, makaras…), végétale (motifs floraux, feuilles, …) et humaine (cavaliers, hommes, femmes, …) ou céleste (apsaras, dieux, déesses et avatars)
Ensuite vous trouvez de lourdes bases de colonnes ou de colonnettes, entières (plus rares) ou bien coupées en deux pour former des consoles.
Les plus belles colonnes et colonnettes de style composite sont cannelées, ciselées et lotiformes.
Enfin, les multiples portes, fenêtres, volets à battants, moucharabieh, arches et arcades polylobées.
Rien ne se perd…
Dans un pays où la réincarnation est une croyance centrale, les matériaux anciens ont aussi bien plus qu’une vie.
Ainsi, les corbeaux, corbelets et modillons récupérés des Haweli vouées à l’abandon sont transformés en consoles, supports muraux.
Quelquefois ces éléments sculptés viennent embellir des meubles, coffres et encadrements de portes.
Les pièces les plus fines sont vendues comme œuvres d’art à part entière, mises en valeur sur un support telles des statues.
Vous croiserez par exemple ici dans la collection, une base de colonnette ayant été recyclée en boite à épices, un magnifique perroquet sur socle qui ornait sans doute un mobilier ou une porte, une bibliothèque avec en façade deux demi-colonnettes ouvragées…
Les artisans du sous-continent indien rivalisent d’imagination et de créativité pour faire du (presque) neuf avec du vieux, notamment avec le bois et les métaux qui restent des matières rares, surtout lorsqu’il s’agit d’essences nobles ou de cuivre, laiton, bronze…
La collection Aurasiatique présente quelques bougeoirs aux formes rondes caractérisques de « pieds d’éléphant ». En fait ce sont des anciens pieds de table « Bajot » communément utilisée pour les offrandes (Pujas) ou comme table basse pour les repas quotidiens au sol. Ce qui explique leur variété de taille et de couleurs, avec parfois des superpositions de couches de peintures.
De la table initiale, le terme « Bajot » s’est ensuite décliné aux pieds bien distinctifs retrouvés dans d’autres pièces de mobilier comme certains coffres, sièges ou des lits. On parle de « Bajot Chowki » pour un tabouret Bajot. En utilisation comme autel (« Pooja Chowki »), c’est un élément auspicieux par lui-même.
Les bougeoirs de la collection ne sont pas tous issus de pieds « Bajot », certains sont muraux car prélevés directement de décors saillants de montants de portes, de façades de meubles, de modillons ou de chapiteaux de colonnes.
Simples petites cupules ou bien oiseaux complexes sculptés dans la masse, même par paire ils ont pour point commun de ne jamais être rigoureusement identiques : associé à leur patine unique, aux traces de polychromie qui témoignent de leurs précédentes destinées, cela en fait des objets particulièrement singuliers, recherchés des amateurs de décorations exotiques fuyant l’uniformisation manufacturée de la grande consommation.
Le paroxysme de l’inventivité dans la transformation est sans doute atteint avec trois bougeoirs indiens en appliques de la collection. Il s’agit de pièces composites uniques formées de trois parties de bois très anciens recyclés : en haut un fragment de modillon à la perpendiculaire pour servir de support au candélabre, au centre un pied de lit ou de chaise (?) coupé en deux dans sa longueur, en bas une partie de support de colonnette (base carrée ou hémisphérique)
Autre beau clin d’œil du passé avec notre Pallankuli (= jeu de semailles similaire au Mancala, populaire en Inde du sud) puisque son verso présente la particularité rare de porter une grande fleur de lotus sculptée en creux. Témoignage de la récupération d’un linteau (porte ?) de bois massif découpé, dans lequel le jeu a été conçu par simple excavation.
Enfin, terminons notre tour d’horizon de l’art de la récupération par une attachante boite à épices centenaire conçue à partir de bois dense sculpté aux motifs géométriques et floraux, surmontée d’un couvercle pivotant (plus récent) et d’un fond portant encore sur les côtés des emplacements de tenons / mortaises : rustique mais efficace !
Mais savez-vous pourquoi ces objets en bois reconditionnés on la plupart du temps une patine très sombre ? Et bien parce que les artisans indiens les protègent en les badigeonnant de « Ghee ». Ce beurre clarifié pénètre les fibres en surface et avec le temps va s’oxyder naturellement, prenant cette patine brune typique.
En illustrations dans la collection / département des objets asiatiques :
En illustrations dans la collection / département des arts asiatiques :