L’objet insolite du mois
Il y a des objets très rares, non par la préciosité de leur matière, ni même par la finesse de leur conception.
Ces objets sont uniques par leur histoire, leur lieu exceptionnel de collecte, et pour un fervent adepte du Sacré, par la sagesse des hommes et femmes qui les ont utilisés durant des décennies.
L’objet insolite du mois synthétise tout cela…
Un trésor au rebut !
La définition du mot « trésor » met l’accent sur un objet mis en réserve, souvent caché. Mais aussi une chose jugée précieuse. Un trésor est donc à découvrir, non perçu sans un véritable effort ou une démarche particulière, en plus il est relatif.
Ici, notre objet avait été mis au rebut en septembre 2004, car aux yeux de leurs propriétaires il était hors d’âge et hors d’usage. De nombreux passants ont croisé sa route, sans y prêter attention : rien de brillant, rien d’intéressant !
Heureusement pour lui, il a été révélé in extremis par une voyageuse qui lui a trouvé un certain charme ou un potentiel, à l’image d’une fleur extraite d’un tas de gravats c’est dans l’insignifiant, le méprisable que parfois peut apparaître une source de beauté.
Un lien avec la lumière
Cet objet a été collecté en région himalayenne, au Tibet, à Lhassa « la terre des dieux ».
Plus précisément au sein du quartier du Barkhor car c’est un moine du célèbre monastère du Jokhang qui l’avait mis au rebut. Une chance pour notre voyageuse de l’avoir acquis de justesse, avant que la police chinoise empêche par la suite toute transaction.
Le Jokhang est le premier temple bouddhiste édifié au Tibet au VIIème siècle par Songtsen Gampo, (dynastie Yarlung), l’un des trois rois religieux du pays. Jokhang veut dire « demeure du Jowo », car il a été conçu initialement pour abriter l’une des deux statues sacrées Jowo du Bouddha, offerte par l’épouse népalaise du roi (représentation du Bouddha Akshobhya : l’impassible)
Lumière interne par la présence exceptionnelle du Jowo, par les pratiques bouddhistes permanentes au cœur du monastère, par la dévotion des pèlerins en circumambulations et faisant courageusement des Kjangchag (prosternations à plat ventre)
Lumière externe, car notre objet est une verseuse en bronze et cuivre, permettant d’alimenter les lampes à huile de combustible comme le beurre de yak fondu.
Vous trouverez dans la collection plusieurs exemplaires de petites lampes à huile tibétaines (sanskrit : Dipa) anciennes, dont une ayant la même origine que la verseuse.
Elles illuminent jour et nuit autels, statues sacrées et lieux de cultes, afin de figurer l’embrasement de la sagesse (éclairage de la réalité absolue), mais aussi en offrande de lumière au bouddha ou aux divinités.
Le beurre de yak étant une denrée de valeur, d’origine animale, laborieuse à produire, essentielle dans l’alimentation traditionnelle de l’Himalaya, sa présence en tant que matière combustible renforce la préciosité du don de lumière au spirituel : une marque certaine de profond détachement, même pour une nourriture physique aussi essentielle dans ces régions de très grande altitude.
Notre verseuse, dont la fabrication est estimée au début du XXème siècle, a été manipulée durant une centaine d’années par des moines de l’école Gelugpa, remplissant infatigablement les coupelles des lampes d’offrandes dans un haut lieu du bouddhisme tibétain.
Elle porte le témoignage émouvant et lointain de son long usage rituel et culturel ; bosses, fêlures, traces de suif et de flammes, patine… Elle restitue à son contact toute l’énergie accumulée dans son contexte d’office.
Un petit miracle de la vie qu’elle ait traversé le temps, parcouru plus de 7 000 km, pour arriver ici et nous raconter son histoire.
N’est-ce pas là un véritable trésor ?
Pour voir en détail cet objet dans la collection / département des objets tibétains :
– VERSEUSE