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adi bouddha statue en bronze
15 Mai

Théiste ou non théiste ?

Pour les occidentaux, la compréhension du bouddhisme comme une religion pose naturellement la question du théisme.

Il est en effet difficile pour nous de concevoir une religion non théiste, pourtant en pénétrant en profondeur dans le bouddhisme nous voyons que les choses ne sont pas aussi tranchées…

Premièrement car la question elle-même de théiste ou non théiste est un contresens au regard de la voie proposée par le Bouddha : quand le théisme accepte l’existence de Dieu comme origine transcendante du monde manifesté ou non manifesté, le Bouddha lui invite à reconnaître simplement la véritable nature de son Esprit sans s’attarder sur la question de sa source, pour en découvrir la réalité inconditionnée et se libérer de la grande illusion du Samsara.

En finalité, l’objectif d’une religion théiste et du bouddhisme est le même : rassembler ce qui est épars, c’est à dire renoncer radicalement aux conditionnements infinis (pulsions, automatismes, bestialité, …), faire grandir et jaillir une luminosité intérieure (foi, conscience pure, clarté, …) pour se re-lier (transcendance de l’individualité, bienveillance, compassion, amour, … ) et à terme se fondre dans une unité absolue (retour au principe, paix éternelle, fin de toutes les souffrances, retour au centre du centre, la mort est vaincue)

Le Bouddha, de façon directe et pragmatique, met l’accent sur la Voie, dans une sorte d’avertissement sur l’urgence de notre situation dans un monde manifesté et donc totalement interdépendant.

Ce sont les quatre vérités des êtres nobles : diagnostic de la maladie, origines de la maladie, possibilités de guérison et remèdes.

Nous voyons que la question ici ne se pose pas en terme de Dieu créateur vers lequel se tourner pour soulager ses maux, demander la clémence et la miséricorde, mais bien en terme de méthode de déracinement définitif des causes de la souffrance.

La parabole bouddhiste bien connue est celle de la flèche empoisonnée (Cf. Culamalunkya Sutta) : à quoi bon vouloir s’acharner à déterminer l’origine de la flèche, en quel bois elle a été fabriquée, sa vitesse, sa conception ? Ou bien à pleurer sur son sort, maudire le destin, remettre sa guérison dans les mains de la providence ? Lorsque le poison a pénétré, il faut d’abord très vite trouver et appliquer l’antidote car le temps nous est compté, mais cela ne veut pas dire nier l’existence de l’arc, du tireur et des phénomènes ayant concouru à amener la flèche à soi…

Le théisme donne à la raison humaine la faculté (et le devoir ?) de démontrer l’existence de Dieu et de son pouvoir créateur par analogie avec sa création. Tel n’est pas le chemin emprunté par le bouddhisme.

Et les divinités alors ?

Le Bouddha historique a refusé de répondre aux questions métaphysiques de ses disciples, afin de ne jamais les détourner de la pratique libératrice du Dharma.


« La vie dans la conduite parfaite, ô Malunkyaputta, ne dépend pas de l’opinion : l’univers est éternel. La vie dans la conduite parfaite ne dépend pas de l’opinion : l’univers est non éternel. Bien qu’il existe une opinion selon laquelle l’univers est éternel et une opinion selon laquelle l’univers est non éternel, il existe avant tout la naissance, la vieillesse, la mort, le malheur, les lamentations, la douleur, la peine, la détresse. Moi, j’enseigne leur cessation ici-bas, dans cette vie même. » (Majjhima Nikaya – sutta

 n°140)


L’opinion métaphysique est une « saisie » de l’esprit qui peut nous enraciner davantage dans la souffrance : fanatisme, rejet, défense, désir d’appropriation de « la » vérité…

Néanmoins cela ne fait nullement du bouddhisme une voie athée. Preuve nous est donnée par la présence de Brahma qui déclenche une pluie de fleurs (symbole = état spirituel arrivé à la racine même de toute manifestation) sur Siddhartha Gautama ayant atteint l’Eveil, vainqueur de Mara et de ses armées : ici une reconnaissance non équivoque du divin.

Outre les Bouddhas et patriarches vénérés, les déités sont très nombreuses dans le bouddhisme tibétain, avec aussi des héritages ou larges emprunts à la tradition Bön et à l’Inde :

  • Dharmâpâla, protecteurs du chemin spirituel des pratiquants
  • Gardiens des points cardinaux
  • Personnifications de forces naturelles

Notamment dans le Vajrayâna où les déités ne sont pas perçues comme extérieures à soi, mais comme des manifestations d’états intérieurs (courroucés, paisibles, …), des supports à la méditation, des facteurs de réalisation d’absence de soi indépendant (technique d’identification à la déité) ou même des sortes d’archétypes de l’Eveil.

Autres êtres improprement nommés « dieux », les Devas qui jouissent d’existences très longues dans des environnements particulièrement favorables, que l’on pourrait qualifier de « paradisiaques », à la seule différence qu’ils ne sont pas dans une dimension d’éternité mais encore dans un état samsarique conditionné (un royaume de la roue de l’existence karmique ou Bhavacakra), certes gagné par des mérites antérieurs cependant en proie aux dangers de l’extase qui éloigne du Nirvana par la menace d’un hédonisme égocentrique.

Dharma et Adi Bouddha, un pas de plus vers Dieu ?

Le Dharma est un refuge, un joyau, car il est l’enseignement bouddhique, un remède universel à l’ignorance de son état et des lois naturelles qui régissent le monde.

En outre, le Dharma est décrit par la Voie du milieu comme le support des univers, l’essence sans début ni fin qui transcende toute forme, tout phénomène ou tout esprit. Sa racine (dhr) révèle l’action de soutenir, maintenir, telle une force ordonnatrice à l’origine de tout.

Par ailleurs, l’état de bouddhéité fait référence à l’accès à une réalité ultime ou Tath’agata, là où Samsara et Nirvana n’existent plus, née d’une seule et même essence. Car le Bouddha est décrit omniscient, omniprésent, absolu dans la connaissance de tous les univers, en somme des attributs divins.

Avec le mystérieux Adi Bouddha, un pas de plus vers le monothéisme est franchi…

Adi veut dire « le premier », traduit comme primordial : il existerait donc un « anté Bouddha » ?

Une synthèse et une source des innombrables Bouddhas du passé, du présent et du futur dont ils seraient la manifestation.

Il produit par lui-même le Prajñā, c’est-à-dire l’intelligence (la compréhension) : cette aséité est une caractéristique unique et remarquable dans le bouddhisme, une marque du divin.

Le Bouddha primordial est figuré par Samantabhadra dans l’ordre Nyingmapa. Représenté nu et d’un bleu profond pur comme Shûnyatâ (la vacuité sans limite et sans condition), il a le corps du Dharma (Dharmakāya) car toute forme de dualité a cessé. Il est en union YabYum avec sa parèdre Samantabhadri, demeurant ainsi dans l’expérience de la grande félicité inconditionnelle et inépuisable.

Dans les écoles Gelug et Kagyu, l’Adi Bouddha est Vajradhara lui aussi de couleur bleue, croisant sur sa poitrine Vajra (upāya, action, moyens habiles, compassion) en main droite et Ghanta (prajñā, vibration, verbe créateur, sagesse, réalisation de la vacuité) en main gauche, ce qui symbolise le dépassement de la dualité, l’union mystique des contraires, la réalisation effective de sa propre gnose innée.

En résumé, l’Adi Bouddha est cette présence pure, parfaite, sans début ni fin, au-delà de la cause et de l’effet. Un architecte de l’univers, tant dans son essence que dans ses lois. Une source infinie de Lumière, trait d’union entre Samsara et Nirvana, seigneur du manifesté et du non manifesté.

On peut en conclure qu’il est pour le moins simpliste de considérer le bouddhisme comme une remise en cause de l’existence de Dieu, car fondamentalement cette voie nous invite plutôt à réétudier en profondeur nos rapports avec le divin, nous sortant de certaines illusions mondaines faussement réconfortantes pour nous replacer face à nos responsabilités individuelles, bien au-delà des conventions dogmatiques.

En illustrations dans la collection / département des arts bouddhiques :

STATUE TIBETAINE DE SAMANTABHADRA EN UNION YAB YUM AVEC SA PAREDRE
THANGKA MANDALA

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