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statue tibétaine de la vente collection triay art himalayen
18 Mai

Art Himalayen : la vente aux enchères du siècle

couverture de catalogue vente collection triay himalaya artLe monde de l’art asiatique et plus particulièrement des amateurs des pays himalayens était en effervescence au début du mois de décembre 2022. En effet, durant sept jours (10-16/12/2022) la prestigieuse maison de vente Bonhams a été chargée de disperser l’extraordinaire collection Ian TRIAY. Ainsi, ce sont 500 lots qui ont été proposés aux plus offrants, dans un défilé étourdissant couvrant 1 500 ans d’histoire du bouddhisme au Tibet, Népal ou encore en Mongolie.
Ce qui fait la particularité de cette collection est sa richesse inouïe en pièces tantriques du Vajrayana : objets rituels, sculptures, masques, costumes, instruments de pratiques, amulettes. En amateur averti, durant quarante ans Ian TRIAY a prospecté sur le terrain, puis il s’est tourné vers les meilleurs marchands internationaux (comme la vénérable maison Spink & Son à Londres) afin de dénicher les trésors les plus rares.
Son goût indéniable pour le bouddhisme ésotérique transparait dans ses choix : beaucoup de pièces font référence à la mort, aux oracles, aux yogis, aux déités courroucées, aux armes rituelles. Loin d’une attirance malsaine pour le macabre, c’est un sage rappel de l’impermanence qui est mis en avant : la Vie est pleinement célébrée et comprise parce qu’elle est acceptée sous toutes ses facettes, même celles paraissant les plus obscures.

L’essence du Vajrayana

La collection TRIAY révèle avec force toute la complexité et l’originalité du « véhicule de diamant » : une voie de pratiques d’origine indienne qui vise l’efficience pour tenter d’atteindre l’Eveil en une seule vie. Pour cela, toute expérience vue sous l’angle de la connaissance transcendante (Prajñā) devient substrat où se développe le déconditionnement. Ainsi les nuages obscurcissant l’Esprit se dissipent naturellement, les situations ou les choses ne sont plus perçues par le prisme discriminant de l’ego (attirantes, repoussantes, neutres) mais bien dans leur pureté nue fondamentale.
L’imagerie du Vajrayana traduit parfaitement cet élan nous invitant à aller au-delà de nos conventions, de nos illusions, de nos peurs réflexes. Le pratiquant tantrique avancé s’est engagé sur un chemin non conceptuel de transformation profonde. Car en réalisant la vacuité des phénomènes, simultanément il les transforme et éclaire sa conscience de la nature de son Esprit : ce qui était menaçant devient gardien du Dharma, ce qui était horrible devient nectar de Sagesse, ce qui était lugubre devient apprentissage de l’impermanence ou du détachement.
La diversité de la collection TRIAY démontre à quel point le Vajrayana fait feu de tout bois pour arriver à ses fins, c’est-à-dire révéler notre véritable bouddhéité latente (Tathâgata Garbha) en transmutant nos souillures ou afflictions (Kleśa) adventices, par toutes sortes de moyens « habiles » (Upāya) appropriés : supports de méditation, mantras, attributs yogiques, soutiens de visualisations, évocations d’entrainement à la mort, costumes de danses, outils rituels, instruments de musique, amulettes protectrices, auxiliaires d’oracle, …

Dépassement du binaire, magie et transmission

Pouvons-nous encore parler « d’objets » lorsqu’il s’agit d’une collection d’art religieux comme celle de Ian TRIAY ?

statue tibétaine de padmasambhava guru rinpotchéConcernant les statues et autres Thangkas consacrés, dans la conception bouddhiste assurément non, puisque ces objets passent d’un état inerte à un état quasi « vivant » grâce à un rituel de consécration adéquat. D’ailleurs, il serait sans doute plus juste d’employer le terme « d’Archāvatara Bhagavan » comme en Inde, qui est littéralement une « descente du bienheureux » (la réalité ultime) par l’intercession de l’image d’un Bouddha ou d’une divinité dans son giron, plutôt que de « consécration » qui a le sens commun d’affectation au sacré.

En effet, les icônes bouddhiques rituellement préparées sont considérées bien au-delà de la simple dédicace, elles sont animées en 5 étapes principales :

– L’objet est préparé, purifié, reçu dans l’ordre monastique comme s’il venait y renaître. Il est mis au contact d’une icône tutélaire qui lui transmet son pouvoir (re connaissance, filiation)

– Au moment favorable (configuration du ciel recherchée) Lamas et Moines engagent une pratique de visualisation qui a pour but d’accueillir l’être de Sagesse dans la nouvelle icône

– L’énergie produite par la méditation, la récitation de mantras, est instillée dans l’image (intronisation des souffles), en même temps que les Qualités spécifiques propres à la divinité ou au Bouddha

– S’il s’agit d’une statue, elle est alors « chargée » en la remplissant soigneusement de la tête jusqu’au socle : arbre de vie central, rouleaux de mantras pour chaque partie du corps, herbes médicinales, encens, terre de lieu saint, pilules « Rilbu » de substances sacrées et de reliques, Astamangala, … La région du cœur accueille des mantras spéciaux, en lien avec la représentation de la divinité. Puis la base est scellée définitivement, avant d’être marquée du sceau d’un Visvavajra. Traditionnellement, laisser un espace vide dans le corps de la statue c’est courir le risque de voir s’y installer un esprit errant mal intentionné…

L’ouverture des yeux (dessin ou gravure ou peinture des pupilles) termine le processus. Parfois, l’officiant réalise cette étape à l’aide d’un miroir, afin de soutenir indirectement le premier regard excessivement puissant qui se dégage de l’icône pleinement incarnée.

Cependant, si l’Eveil complet est la « grande extinction » (Nirvana), un Bouddha a dépassé tout conditionnement, toute dualité sujet-objet, il échappe ainsi théoriquement à toute représentation ou tout concept.  On comprend l’embarras initial des adeptes encore dans le Samsara et donc dans la non abstraction totale, recherchant des images iconiques comme support de culte, de dévotion et de pratique. Il eut sans doute été plus aisé de demeurer dans le registre aniconique symbolique de la figuration indirecte de la bouddhéité, par les traces ou indices laissés dans notre monde des formes : empreinte de pied, trône vide, cheval sans cavalier, arbre de la Bodhi, Chatra (parasol), roue (Dharma), Stupa (Chorten), …
Le Mahâyâna apporta la réponse imparable ouvrant la porte à la représentation humaine du Bouddha : le Trikāya (triple « corps ») Ainsi la bouddhéité étant la réalisation de l’ainsité (Tathatā : tout est ainsi, au-delà du binaire et des idées conceptuelles), il est valable de considérer le Bouddha résidant simultanément selon trois plans (ou trois « corps ») :

  • Sans forme (Dharmakāya) : absolu et indicible
  • Formel de félicité (Sambhogakāya) : accessible aux Bodhisattvas
  • Formel d’émanation ou de compassion (Nirmāṇakāya) : perceptible dans le Samsara

Ultimement, il est entendu que les deux plans formels sont illusoires, mais utiles pour guider le pratiquant vers l’Eveil et en finalité à transcender l’image en elle-même par sa propre absorption méditative dans la vacuité, là où Nirvana et Samsara ne font plus qu’un.

De ce fait, les statues ou les thangkas bouddhiques sont la figuration du corps du Bouddha.

Tandis que les textes sacrés sont paroles du Dharma et les Stupas sont Esprit lumineux.

moines tibétains en rituel

Dans ces conditions, les authentiques icônes bouddhiques ne sont pas à traiter comme des œuvres d’art, mais avec tous les égards que nous aurions pour un être vivant, de surcroit un être Eveillé, rendant tangible ce qui est d’ordinaire non accessible aux sens.

Exposer ces icônes dans un lieu public ou une collection privée en dehors d’un monastère, est une grande responsabilité et impose une déontologie : à minima elles sont à être positionnées en hauteur, à être protégées de la saleté, des souillures, des contacts avec le sol ou les membres inférieurs, des lieux et situations offensantes (incluant les guerres et les violences)

En théorie même leur déménagement ou déplacement exigerait de renouveler le rite de consécration, afin de « réinstaller » le Bouddha, la divinité et de lui réitérer son respect.

D’ailleurs, ouvrir le socle d’une statue pour en scruter le contenu par curiosité ou bien avec un objectif de recherche scientifique est assimilé à une profanation. La consécration est une action hautement méritoire consiste à inviter la divinité à animer l’objet figuratif spécialement conçu pour cette intention, afin de la voir y résider et rayonner jusqu’à sa dissolution naturelle. Au contraire, la déloger volontairement implique l’éradication de ses Qualités, ce qui est un acte très préjudiciable pour l’auteur des faits comme pour l’humanité dans son ensemble.

Mais dans ce cas pour des pratiquants de la coproduction conditionnelle, considérant que fondamentalement rien n’existe individuellement dans le monde phénoménal (sauf par les cinq agrégats d’attachement, erronées et impermanents, qui nous donnent l’illusion qu’il existe un « soi »), qu’est-ce que nous profanons réellement en cassant la consécration établie, notamment lorsqu’il s’agit d’une déité du bouddhisme Tibétain ? Et bien la réponse est double :

peinture tibétaine thangka de vajrakilaya1/ C’est notre propre nature qui est profanée, puisque le Vajrayana est une école qui passe par la pacification puis la maîtrise de l’Esprit, afin d’en faire jaillir toute la clarté. Or les multiples déités ont ce rôle de médiateur permettant d’accéder à des niveaux de conscience élevés surpassant la logique ordinaire. Ce sont des vecteurs conceptuels non extérieurs, créés par l’Esprit et auxquels le pratiquant va s’identifier temporairement pour réaliser un parcours spirituel précis. Une fois avoir atteint l’échelon visé et stabilisé son Esprit, la déité doit être reconsidérée comme vide et évincée, évitant ainsi de retomber dans l’écueil de l’attachement aux illusions des formes.

2/ Ce sont les Maîtres et la Sangha qui sont profanés, car ces déités ont été conçues à dessein par des sages Eveillés, invoquées depuis des Kalpas incalculables et leur existence est entretenue par la puissance psychique des pratiquants. Dans le continuum ininterrompu de l’Esprit des hommes éclairés, on peut ainsi dire qu’elles sont bien vivantes, indépendamment de ceux qui les captent pour les honorer ponctuellement.

Aurasiatique accueille une partie de la collection légendaire

La vente Ian TRIAY regroupait nombre d’instruments ou outils de rituels tantriques et de pratiques yogiques qui sont aussi à considérer comme consacrés.
En effet, la consécration évoquée précédemment est qualifiée de « dirigée », mais il existe au surplus les consécrations dites « d’usage » ou de « contact » ou de « diffusion indirecte ». Aussi les Maîtres avancés et Tulkous sont-ils apparentés à des émanations de Bodhisattvas en capacités de thaumaturges bouddhistes dotés de pouvoirs (traditionnellement au nombre de six) perçus comme « extraordinaires » sur le plan relatif, mais comme secondaires sur le plan absolu au regard de la finalité recherchée qui est l’Eveil complet.
Nous pouvons en contempler des supports impressionnants dans la collection TRIAY : miroir d’oracle Me Long, corne d’exorcisme Thun-rwa, Zanpar pour contrecarrer les esprits démoniaques et leurs calamités, Thogchag protecteur, diverses armes rituelles, Rinchen Brdaru de bénédiction, …
Or en utilisant avec ferveur ces objets, ces pratiquants avancés leur transmettent une intention particulière, une énergie née de leur élévation spirituelle, une empreinte indélébile de leur Sagesse, un témoignage indicible du processus de leur transformation intérieure.

six trompes tibétaines kangling collection triay himalayaUn lot de six de ces objets tantriques extraordinaires issus de la vente TRIAY est venu enrichir la collection Aurasiatique : des véritables trompes Kangling (= « flûte de jambe ») datées du XVIIIème au début XXème.
Parmi ces Kangling, un remarquable exemplaire enjolivé, paré de cabochons de corail rouge et de turquoise a été exposé et publié (Ramon Prats, et al., « Monasterios y lamas del Tibet », Madrid, Fondation « La Caixa », 2000, p. 115, no. 51)

Le Kangling est fabriqué à partir d’un fémur humain, il a donc une longueur variable. C’est un instrument d’origine indienne issu des Yogins et Yoginis vivants à proximité des charniers et utilisant des ornements d’os à l’image des déités avec qui ils (elles) souhaitent rentrer en contact.
livre monasterios y lamas del tibetIls portent naturellement un symbolisme puissant lié à l’impermanence, mais aussi des pouvoirs spirituels et magiques intrinsèques qui ont été par la suite intégrés dans les pratiques tantriques bouddhistes avancées du Vajrayana : principalement le Chöd (= « couper à la racine ». Méthode risquée pour l’adepte qui cherche à trancher net les racines de la peur et du sentiment erroné d’individualisme, par un autosacrifice rituel aux esprits affamés « Preta »), ou les pratiques d’invocation de déités courroucées (pour éliminer les obstacles sur le chemin de l’Eveil)
Les trompes Kangling ont différentes classifications ou destinations, selon leur source (matière, cause de la mort, âge, sexe, niveau d’avancement spirituel, …), car leur collecte et leur préparation sont très codifiées.
Nos exemplaires feront bien entendu prochainement l’objet d’analyses fouillées, afin de vous partager des descriptifs détaillés singuliers au sein de ces pages.
Soulignons que la présence de telles « reliques » sur le marché de l’art sacré bouddhique devient de plus en plus improbable, c’est par conséquent aujourd’hui un véritable honneur de les accueillir dans la collection Aurasiatique.

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